CASE MODDING
Par Jean-Sébastien Coutu, M.Sc.
Néons ultraviolets, câbles fluorescents, grilles incandescentes, badges, glaces teintées, boutons en titane oxydé ou moulures translucides, l'industrie du case modding (littéralement " modification du boîtier ") ne manque pas d'imagination pour stimuler un marché qui n'est pas sans rappeler celui de la voiture modifiée. Un marché qui s'adresse principalement à une clientèle jeune et joueuse qui fréquente les LANs (Local Area Network, joutes organisées durant lesquelles plusieurs joueurs se mesurent les uns aux autres en raccordant leurs machines à un réseau local). C'est alors l'occasion d'épater la galerie en exhibant sa bécane et peut-être même d'intimider l'adversaire puisque les évocations sataniques, mortuaires et radioactives sont courantes et faciles à réaliser. Des compagnies comme Antec, Sunbeam, PC Toys et Xoxide aiguillonnent l'élan créatif des modders en leur proposant d'impressionnantes palettes d'accessoires.
Selon Fred Kohan, président d'un géant manufacturier américain (Hypersonic PC) qui mise notamment sur le panache de ses boîtiers pour envahir la scène du LAN, les joueurs accordent beaucoup d'importance au look de leur système. "C'est devenu une sorte de spectacle, dit-il. Chaque joueur veut montrer qu'il possède le système le plus cool." Kohan pense que les LANs sont le théâtre d'une compétition qui pousse les joueurs à investir toujours plus d'argent pour améliorer l'esthétique de leur machine. "C'est comme un défilé de mode. Ils veulent tous un système qui attirera l'attention aussitôt qu'ils passeront la porte."
Case modding 101
Au début des années 1980, la mine effacée des micro-ordinateurs inspire quelques propriétaires agacés qui, allant jusqu'à compromettre la garantie du fabricant, commencent à repeindre leur boîtier. Des artistes peintres proposent même leurs services dans les magazines d'informatique. Mais les temps sont à la puissance de traitement et au perfectionnement des moniteurs. La plupart des consommateurs conservent donc intacts ces boîtiers d'un beige neutre destinés à se fondre dans tous les décors.
En 1998, la compagnie Apple orchestre la plus importante campagne publicitaire de son histoire. Elle choisit l'acteur américain Jeff Goldblum (Parc Jurassique, La Mouche) pour incarner l'original propriétaire du iMac, une machine translucide aux courbes voluptueuses et offerte dans une combinaison de couleurs insolite : bleu Bondi et blanc cassé (inspirée d'une plage de surf australienne réputée pour l'étrange couleur de ses vagues et de son écume). Viendront ensuite les couleurs fraise, bleuet, tangerine, lime, raisin, rubis, sauge, flower power et d'autres encore. "Pensez différemment, insiste alors un Goldblum goguenard et complice. Quelle est votre couleur favorite? Le beige?" Steve Jobs, chef de direction et co-fondateur de Apple : "Pour la plupart des clients, la couleur est beaucoup plus importante que les mégahertz, les giga-octets et autres termes du jargon utilisé lors de l'achat d'un PC typique". Le iMac est l'œuvre de Jonathan Ive, un jeune designer britannique, qui se réjouit : "L'une des choses que vous remarquez quand les gens s'approchent d'un iMac, c'est leur langage corporel. Ils ont tendance à sourire et à se tapoter la tête."
Avec son iMac, Apple sert un véritable électrochoc à l'univers, jusque-là tranquille, du boîtier. La concurrence n'est pas prête. Chez IBM, le produit le plus attrayant demeure cet austère boîtier noir NetVista dont il reste des centaines de milliers d'exemplaires à écouler. Impossible de revamper. Le marketing fera cependant preuve d'imagination en rebaptisant la couleur noire par une spécification nettement plus poétique : réglisse noire, caviar et encre de calmar. Mais Apple introduit beaucoup plus que des couleurs. Son iMac translucide fait la démonstration qu'il n'est pas déplaisant d'apercevoir quelque peu les composantes qui encombrent l'intérieur d'un boîtier.
Des petits manufacturiers, souvent même des particuliers, commencent à fabriquer des composantes décoratives et des outils qu'ils mettent en vente sur le net. Coté boîtier, Lian Li, Cooler Master, Shuttle, Soldam, Skyhawk, Thermaltake et Nikao, inondent le marché avec des tours légères, polyvalentes et délibérément conçues pour servir de châssis aux projets des modders. Pour Chris Steele, le coup d'envoi est donné au plus prenant des passe-temps. À 32 ans, il dirige aujourd'hui la plus importante ressource matérielle en case modding au Canada (MODTHEBOX.com). Il remarque que l'engouement récent pour le case modding a coïncidé avec celui du LAN. "Les joueurs passent un temps fou à trafiquer leurs machines en y ajoutant le dernier cri du plus beau matériel, écrit Steele." Pourquoi faire? Pour se montrer dignes de leurs partenaires. L'allure de ce que Steele appelle "le parfait système de jeu" est ici déterminante car elle atteste de la qualité et de la puissance des composantes qui ronronnent sous le capot.
Concours de Case Modding
C'est id Software, fondateur de QuakeCon qu'il faut considérer comme le Super Bowl de l'événement LAN, qui organisa en 2000 le premier véritable concours de case modding. Depuis, les commanditaires manufacturiers s'associent volontiers à tous les LANs d'envergure (BadLAN, LANtrocity, Fragnation, Fragapalooza, etc.) qui font appel à eux pour récompenser les meilleurs modders. Les prix sont en argent, en pièces ou en bons d'achats d'une valeur pouvant atteindre les milliers de dollars. Ces concours sont devenus tellement populaires qu'il y aurait pénurie de juges "d'expérience". David Stellmack, éditorialiste technique réputé du Tom's Hardware Guide, affirme qu'il refuse régulièrement des offres qui lui parviennent de partout à travers le monde.
Si les boîtiers examinés sont souvent d'un kitsch lumineux déconcertant, les juges sont occasionnellement charmés par des créations d'un incontestable intérêt artistique. Mais l'univers du case modding récompense surtout l'équilibre entre la performance et l'esthétique. À look dévastateur il faut associer performance canon. Il revient donc aux joueurs de faire la démonstration que leur machine en a dans le ventre. Ces mini-écrans LCD, qui indiquent température et fréquence du processeur, ont la cote. Idem pour les gros systèmes de refroidissement liquide équipés d'un compresseur gros comme un pamplemousse capable de plonger l'intérieur de votre machine à -15 ºC (VapoChill). Sinon, l'insonorisation au caoutchouc (comme dans les sous-marins nucléaires) demeure une idée très prometteuse. Et pour les as de la bricole que la gloire n'intéresse pas, il est toujours possible de décrocher un prix de consolation en joignant l'utile à l'agréable avec le cooler à bière intégré, la cafetière ou la disco mobile de 100 watts!